Par cette lettre datée du 18 novembre dernier, Edgar Morin donne une chance aux dirigeants socialistes d'élever le débat au-dessus de leurs guerres pichrocolines et de leurs egos. Je vous l'accorde, bon nombre de dirigeants Verts n'ont rien à leur envier! Il indique à quel point tout renouveau de la Gauche passe par l'émergence d'une écologie politique forte pour faire face aux enjeux de la planète. Les "redresseurs d'espérance" viendront de divers horizons, nous dit Edgar Morin. Jean-Paul Besset, porte-parole de la fondation Hulot, et l'un des artisans du regroupement des écolos autour de Cohn-Bendit a publié ce texte sur le site Europe Ecologie. Je l'en remercie, même s'il ne peut échapper à personne qu'Edgar Morin va plutôt chercher ses alliés du côté des coopérateurs ludiques... alors que le même Jean-Paul Besset tire sans cesse le regroupement des écolos le plus possible à droite, en allant, par exemple, chercher Waechter... Trouvez l'erreur!
[Au vu du déroulement affligeant du congrès du Parti socialiste à Reims, le philosophe et sociologue Edgar Morin a pris l'initiative d'envoyer une lettre ouverte aux principaux protagonistes de la palinodie. Au delà des échéances et des circonstances politiques, elle déroule une réflexion qui, à mon avis, saisit dans leur ampleur et leur complexité les enjeux de la réalité à laquelle nos sociétés sont maintenant confrontées, entre désintégration et métamorphose. La luminosité de ce texte me paraît devoir être porté à la connaissance et au débat de tous. Il nous concerne au premier chef. (Jean-Paul Besset)]
" La conception marxienne de l'homme était unidimensionnelle et pauvre : ni l'imaginaire ni le mythe ne faisaient partie de la réalité humaine profonde : l'être humain était un Homo faber, sans intériorité, sans complexités, un producteur prométhéen voué à renverser les dieux et maîtriser l'univers. Alors que, comme l'avaient vu Montaigne, Pascal, Shakespeare, homo est sapiens démens, être complexe, multiple, portant en lui un cosmos de rêves et de fantasmes.
La conception marxienne de la société privilégiait les forces de production matérielles ; la clé du pouvoir sur la société était dans l'appropriation des forces de production ; les idées et idéologies, dont l'idée de Nation, n'étaient que de simples et illusoires super- structures ; l'Etat n'était qu'un instrument aux mains de la classe dominante ; la réalité sociale était dans le pouvoir de classes et la lutte des classes ; le mot de capitalisme suffisait pour rendre compte de nos sociétés en fait multidimensionnelles. Or aujourd'hui, comment ne pas voir qu'il y a un problème spécifique du pouvoir d'Etat, une réalité sociomythologique formidable dans la nation, une réalité propre des idées ? Comment ne pas voir les caractères complexes et multidimensionnels de la réalité anthroposociale ?
Marx croyait en la rationalité profonde de l'histoire ; il croyait le progrès scientifiquement assuré, il était certain de la mission historique du prolétariat pour créer une société sans classes et un monde fraternel. Aujourd'hui, nous savons que l'histoire ne progresse pas de façon frontale mais par déviances, se fortifiant et devenant tendances. Nous savons que le progrès n'est pas certain et que tout progrès gagné est fragile. Nous savons que la croyance dans la mission historique du prolétariat est non scientifique mais messianique : c'est la transposition sur nos vies terrestres du salut judéo-chrétien promis pour le ciel après la mort. Cette illusion a sans doute été la plus tragique et la plus dévastatrice de toutes.
Beaucoup d'idées de Marx sont et resteront fécondes...
Social, économie sociale et solidaire