(Paru dans le Journal de Saint-Denis le 6 février 2018): https://www.lejsd.com/node/16050
Multicasquettes. À 62 ans, cet ancien Parisien et ancien journaliste, grand défenseur de l’économie sociale et solidaire, a replanté des racines à Saint-Denis où il est investi dans la régie de quartier et dans la coopérative Pointcarré, et où il organise les Rencontres de la Plaine.
Non les Parigots n’ont pas tous des têtes de veaux. Il en existe même de très affables. Affable est le mot qui vient immédiatement à l’esprit quand vous rencontrez François Longerinas pour la première fois. L’ancien journaliste est plutôt du genre bavard même. C’est que le natif du 11e arrondissement en a des choses à raconter, de sa voix chaude qui ressemble à s’y méprendre à celle d’André Dussollier. Directeur général de l’École des métiers de l’information (EMI-CFD), maire adjoint (EELV) aux affaires sociales pendant sept ans dans le 3e arrondissement, co-fondateur de la régie de quartier Paris-Centre, François Longerinas a eu bien des casquettes dans sa vie. Une vie dont le décor principal a changé, depuis son installation dans le centre-ville de Saint-Denis il y a trois ans.
Victime de la gentrification parisienne
L’évolution de mon quartier parisien m’est devenue insupportable, déplore ce témoin privilégié de la gentrification.On est passé d’un quartier populaire à un quartier mixte, à un quartier bobo pour finir par être un quartier carrément bourgeois. Alors même que je me suis battu avec d’autres pendant vingt ans pour garder de la mixité. On a réussi à faire bouger des choses en passant le taux de logements sociaux de 2,5 % à 7 %. C’était pas mal mais pas assez vu les besoins de logements qu’il y avait. C’est quand même un peu un échec, en dépit de tout ce qu’on a construit et fait, l’essentiel n’a pas marché. »Et puis est arrivé un moment où la grande déblayeuse de la gentrification a implicitement indiqué la sortie à François Longerinas. « La vie devenait trop chère. À chaque renouvellement de bail, le loyer de mon appartement augmentait assez considérablement. On se sent un peu poussé dehors dans ce cas-là. » Mais en débarquant à Saint-Denis n’a-t-il pas l’impression de rejouer la même pièce en inversant les rôles ? « Pour moi il n’y a pas de boboïsation à Saint-Denis. Il y a peut-être une diversification, mais ce n’est pas comparable au véritable embourgeoisement que j’ai pu connaître dans le 3e. J’ai retrouvé des couches moyennes ici comme on les croisait à Paris. Et ce n’est pas un arrivage récent. Il faut cependant être attentif à des logiques de gentrification autour de grands projets comme les JOP 2024. S’il y a un petit risque, il est de ce côté-là. »
Décrypter, comprendre, ne pas tomber dans le cliché : François Longerinas n’a pas perdu ses bonnes habitudes de journaliste, lui qui dirige depuis 23 ans la renommée École des métiers de l’information (EMI-CFD). De par sa structure coopérative et son positionnement, l’EMI-CFD dénote sacrément dans le paysage. « On est là pour permettre des reconversions, dans le cadre de parcours atypiques. En une année scolaire, on apprend le métier, dans une logique de compagnonnage. Un peu comme ce qu’il se passait dans la profession il y a vingt ans. À l’époque 80 % des journalistes ne faisaient pas d’école. » C’est peut-être un détail pour vous mais pour François ça veut dire beaucoup : « Une de nos ambitions est de faire évoluer la sociologie de la profession pour que dans les rédactions il y ait des regards diversifiés. »
Explorer pour transformer, c’est un peu le fil conducteur du parcours de François Longerinas. C’est ce qui l’a poussé à se lancer dans l’aventure des régies de quartier, il y a dix ans maintenant. « Les régies ne cessent d’expérimenter autour d’un principe simple : faire en sorte que les gens retrouvent du boulot en participant à l’amélioration de leur cadre de vie. Ce qui est fascinant dans l’économie sociale et solidaire c’est qu’on essaie des choses. On est dans un rêve utopique pour inventer des entreprises qui fonctionnent autrement. Pour résumer : l’ESS, c’est essayer de penser une autre société et la vivre au jour le jour. »François Longerinas, les pieds sur terre, la tête dans les étoiles… rouges.
Yann Lalande
Photo © Yann Lambert
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