par Jean-Philippe Milesy
Depuis leur création les entreprises de l’Economie sociale cherchent à contribuer à la définition d’une autre économie fondée sur la propriété collective, la gestion démocratique et la non-lucrativité (même si trop d’entités de l’ESS semblent se contenter de survivre, à la marge de l’actuelle société libérale)
Mais elles ont, pour l’essentiel, jusqu’à présent, échoué à la définition d’un véritable « entreprendre autrement ».
Au cœur de cet « entreprendre autrement » se situe la question primordiale du travail et des rapports sociaux en leur sein.
Ceci devrait à nos yeux conduire à une nécessaire intégration des salarié.e.s en tant que parties prenantes de cet « entreprendre » pour qu’il soit « autre ».
Bien évidemment ce qui fonde une entreprise de l’ESS est le pacte social entre ses fondateurs : coopérateurs, sociétaires mutualistes, adhérents associatifs.
Ce sont eux qui librement portent le projet et doivent en déterminer les orientations. A condition que la démocratie soit effective, ils représentent le « politique » et cette place ne saurait être contestée.
Mais la complexification des activités, la nécessaire « professionnalisation » attachée à des fonctions liées au développement des structures initiales a conduit au recrutement de salariés en nombre croissant pour effectuer une part qui est devenue parfois essentielle à ces activités.
Ces salarié.e.s, comme on le rappelle à l’envi, sont, y compris au sein des SCOP, des salarié.e.s de droit commun régis par les règles du travail et en premier lieu la subordination qui fonde en France le contrat. Une amibition « ESS » devrait porter à la fois les meilleures garanties de respect des droits généraux du code du travail et d’innovation d’une pratique alternative de la relation de travail. La période qui s’ouvre, initiant une poursuite brutale de la casse du code du travail, doit d’autant plus mener les acteurs de l’ESS à une exemplarité quant à la mise en œuvre de rapport sociaux respectueux des droits des salariés.
Aujourd’hui plus qu’hier, le constat est vite dressé de la part déterminante des salarié.e.s dans la vie de très nombreuses entreprises de l’ESS, et ce d’autant que sous les contraintes, au demeurant légitimes, les coopérateurs, adhérents, sociétaires se sont très souvent retrouvés, volens nolens, éloignés du quotidien.
On se réfère souvent, mais comme à une exception, à la place des militants de la Maif dans l’accueil des nouveaux sociétaires. D’autres mutuelles ont su maintenir leur tissu de sociétaires militants.
On évoque aussi à juste titre la place des bénévoles dans les associations, mais on voit bien qu’il y a eu très souvent transfert : les personnels salariés recrutés, au départ, comme appui aux militants bénévoles ont été conduits à assumer une part croissante des tâches, les bénévoles passant alors en appui à leur activité.
Cette situation de tensions est parfois aggravée par les législations, nationale ou européenne, comme par exemple la règle des « quatrez’yeux » prévue par la directive européen Solvabilité II.
Il est donc important que soit définie la place des salarié.e.s dans des systèmes se réclamant de valeurs démocratiques et de solidarités.
Et cette définition doit avant tout partir de la réalité du travail au sein de ces entreprises.
Si le « politique » emporte sa légitimité, le « travail » doit amener à considérer la légitimité connexe de ceux qui l’accomplissent.
Là ou la situation semble la plus complexe est au sein des associations gestionnaires et ce d’autant qu’elle est figée par la loi de 1901, ou les lectures qui en sont données, qui tiendraient les salariés hors les instances « politiques ».
Ainsi sans délégitimer le politique, parce que nous nous réclamons d’un « entreprendre autrement », parce que nous voyons les impasses auxquelles conduisent les évolutions managériales, parce que nous voyons le développement de la précarité, des souffrances au travail, au nom des valeurs dont nous revendiquons nous avons à ouvrir d’urgence un chantier sur la définition de nouveaux rapports au sein de nos entreprises, d’une reconsidération du travail.
C’est à ce prix que nous pourrons nous présenter comme alternative au mode dominant actuel et que nous nous assurerons par une adhésion large de la pérennité de nos entreprises.
Le chantier est considérable.
Le recours à des coopérativats populaires et des « crowfunding » élargit encore la nécessité de se pencher sur ce sujet.
Nous savons la part que la doxa managériale a prise y compris dans nos rangs : il n’y a qu’à regarder les recrutements que nos structures privilégient trop souvent : les MBA avec leurs certitudes libérales.
Nous savons aussi que spontanément une bonne part des salarié.e.s ne revendiquent pas (surtout dans le contexte de crise) une modification de leur positionnement. Nous savons encore le manque criant de réflexion des organisations syndicales de salarié.e.s sur l’émergence d’une autre économie. En leur sein, certaines mauvaises pratiques actuelles de management « indifférencié » de beaucoup de structures de l’ESS, jouent dans cette absence.
Pour autant ce chantier est indispensable pour faire sortir les entreprises de la spirale létale de banalisation dans laquelle trop d’entre elles se laissent enliser.
Des modèles nouveaux, associant les « politiques » et les « exécutifs », doivent être pensés et mis en œuvre.
Une modalité existe : la SCIC dont l’exploitation ne doit pas se limiter aux interventions des collectivités publiques. Elle fait cohabiter au sein d’une structure coopérative à la fois ceux qui travaillent, ceux qui portent le projet, et tous ceux notamment les usagers, le public qui sont dans la sphère élargie du projet. Ce statut a pour vocation de concrétiser, par la coopération entre toutes les parties prenantes, une finalité d’intérêt général de l’activité des structures concernées. Et la démocratie, comme le respect d’un contrat social sont des leviers incontournables de cet intérêt général.
De très nombreuses structures associatives gestionnaires auraient vocation à adopter ces statuts qui demeurent une idée neuve.
Mais pas que… Des œuvres mutualistes pourraient sans rompre en rien le lien avec leur structure fondatrice pourrait connaître dans cette « hypothèse coopérative » les voies de leur relance, de leur développement.
Texte rédigé par Jean-Philippe Milesy, au nom des Rencontres de la Plaine
Social, économie sociale et solidaire