Comment rassembler une majorité autour d’un socle de propositions de transformation ?
Par Claude DEBONS (ancien responsable syndical), Marc DOLEZ (député), François LONGERINAS (militant associatif), Jacques RIGAUDIAT (économiste), membres du bureau national du Parti de Gauche.
Le mouvement social a franchi un nouveau palier. Son élargissement, sa détermination tranquille, les reconductions de grèves, l’entrée en lice des jeunes témoignent, au-delà de l’opposition à la réforme des retraites, d’un profond rejet de la politique antisociale de Sarkozy et, plus généralement, d’une exaspération de la société devant l’arrogance des gouvernants. Cette dynamique s’accompagne d’une prise de conscience politique face au modèle de société inégalitaire et injuste que construisent pas à pas les contre-réformes successives. Le démantèlement du modèle social apparaît d’autant plus insupportable qu’il est mené par un pouvoir perçu comme le fondé de pouvoir des intérêts des actionnaires et des spéculateurs qui continuent de s’enrichir.
La droite a tenté d’éviter la polarisation de la confrontation sur la question sociale en organisant des diversions. Mais, l’agitation cynique des questions de la nationalité, de l’insécurité, des Roms… ou les prières vaticanes ont fait long feu. De même, le discours officiel sur « l’évidence » du recul de l’âge de la retraite, les « mesurettes » sur le travail des femmes ou la pénibilité, ou l’évocation d’une éventuelle réforme du bouclier fiscal, ne troublent pas davantage. C’est que le rejet du pouvoir est sans précédent alors même que le mouvement bénéficie d’un soutien très large. La colère populaire se nourrit du discrédit du capitalisme libéral consécutif à l’éclatement de la crise et de la volonté des classes dominantes d’en faire payer la facture aux peuples. Elle s’alimente de ce réflexe au soulèvement de notre peuple à chaque fois qu’est mise en cause cette « exception française » façonnée par des décennies de luttes et de conquêtes populaires.
L’inquiétude gagne le camp conservateur. En témoignent le feuilleton cacophonique du remaniement ministériel, les fissures béantes visibles dans la majorité ou les doutes croissants à l’égard du président lui-même. La crise sociale se double ainsi d’une crise politique qui met en cause la légitimité du pouvoir à gouverner contre le peuple. Il est positif que la gauche dans son ensemble se soit retrouvée dans le soutien à l’intersyndicale. Elle devrait maintenant — par-delà les propositions de réforme différentes qui la traversent — appeler ensemble au retrait pur et simple de ce projet gouvernemental. Ce serait un puissant encouragement au mouvement social. Mais il faut aller plus loin.
L’enjeu est de répondre à la crise de légitimité du pouvoir et de proposer au pays une perspective pour battre Sarkozy et changer vraiment de politique. Une perspective politique majoritaire car il s’agit de battre la droite sans quoi aucun changement n’est possible. Une perspective de changement profond car il s’agit de rompre avec les politiques libérales. Ces deux perspectives n’en font qu’une. Prises séparément elles constituent chacune « un couteau sans lame ». Une perspective majoritaire sans contenu programmatique de changement profond risquerait de ne pas mobiliser les classes populaires et, en cas malgré tout de victoire fondée sur le seul antisarkozysme, ne pourrait qu’aboutir à une profonde déception. A l’inverse, un programme de changement profond ne s’accompagnant pas d’une perspective majoritaire pour sa mise en œuvre perdrait ipso facto une large part de sa crédibilité.
C’est à répondre à cette question, que le Front de Gauche doit s’atteler. Ce n’est possible qu’en combinant l’implication dans les mouvements unitaires pour combattre Sarkozy et sa politique avec l’engagement dans la bataille programmatique à gauche pour y battre les options de renoncement des sociaux-libéraux et pour rassembler une majorité autour d’un socle ambitieux de propositions de transformation. Le Front de Gauche doit agir au cœur de la gauche — et non à ses marges — pour œuvrer à sa refondation/reconstruction sur un programme de rupture avec les politiques libérales. Là où certains veulent « changer de gauche » au risque de l’isolement et de l’impuissance, nous voulons pour notre part « changer la donne à gauche » pour construire une perspective majoritaire de changement profond.
La fête de l’Humanité a permis de poser la première pierre d’un programme partagé du Front de Gauche. Il faut maintenant vite concrétiser ce chantier et le concevoir comme un débat démultiplié localement permettant d’impliquer, bien au-delà des seuls adhérents des composantes actuelles du Front de Gauche, les courants, les citoyennes et citoyens aspirant à une transformation sociale et écologique. L’actualité récente montre ce que devraient être les principaux axes d’un tel programme :
- Un nouveau contrat social : incluant la reconstruction de ce que la droite a détruit en matière de droit du travail, de protection sociale ou de partage des richesses ; mais allant plus loin, notamment une nouvelle protection contre le risque économique (sécurité sociale professionnelle), de nouveaux pouvoirs des salariés dans les entreprises (« contrôle ouvrier » et « droits de veto » sur les choix des employeurs), des mesures contre les discriminations faites aux femmes.
- Un nouveau type de développement, économique, social et écologique et les moyens de sa mise en œuvre : par des nationalisations bancaires et la création d’un pôle financier public dominant ; en redonnant au service public sa vocation à répondre à l’intérêt général ; en replaçant sous contrôle public les secteurs répondant aux besoins essentiels de la population ; en instaurant une planification démocratique pour faire des urgences sociales et écologique la priorité de l’action publique de façon à transformer les modes de production et de consommation.
- Une refondation démocratique : en redonnant au peuple sa souveraineté par une VI° République, sociale et citoyenne, rompant avec la dérive monarchique ; en s’affranchissant des règles du Traité de Lisbonne qui empêchent de gouverner vraiment contre les marchés financiers, les banques, et les agences de notations qui les servent.
La période qui s’ouvre risque d’être critique. De nouveaux séismes financiers ou monétaires, peuvent brutalement aggraver la situation sociale et entraîner des tensions politiques accrues. Leur dénouement progressiste dépendra de l’alternative politique de gauche et de la crédibilité de ses propositions face aux défis posés. Faute de cela, comme on vient de le voir en Suède ou en Autriche, c’est une extrême-droite « relookée » qui pourrait bien en profiter. L’issue du mouvement social influera sur la dynamique future, mais une opportunité est ouverte pour proposer une perspective majoritaire d’alternative et pas seulement d’alternance. C’est une telle perspective que le Front de Gauche doit maintenant porter avec force par des initiatives publiques dans tout le pays.
Par Claude DEBONS (ancien responsable syndical), Marc DOLEZ (député), François LONGERINAS (militant associatif), Jacques RIGAUDIAT (économiste), membres du bureau national du Parti de Gauche.
Tribune publiée dans L'Humanité du 15 octobre 2010
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